top of page
Photo du rédacteur

Faut-il encore jouer Molière ?


Peut-on encore redécouvrir Molière ? A -t-il besoin d'être réinventé pour être apprécié ?Comment et pourquoi le faire aimer alors que tout a été dit et fait à son sujet ?


Auteur le plus joué au monde, quelles raisons avons-nous encore d'aller le découvrir ?


Au fur et à mesure des siècles, l'auteur le plus joué du monde ne cesse d'être revu, corrigé, réinterprété, réassaisonné, simplifié, vulgarisé, transporté dans toutes les époques, tous les styles. Pas toujours pour son bien comme parfois tel un phoenix renaissant sur le parquet du Français.


Le 15 janvier prochain marquera un nouvel anniversaire de celui qu'on appelle le Patron à la Comédie Française. Et le patron de tous les comédiens. Mais notre Jean-Baptiste peut-il encore passionner les foules sans être dépoussiéré ? Et pourquoi faut-il encore s'intéresser à Molière si apparemment, on en a tout vu, tout fait, tout usé ?


Mais parce que nous n'avons pas le choix ! Il faut habiter sur la lune pour ne pas devoir le connaître. Qui d'entre nous n'a pas interprété en primaire, "Les Femmes Savantes" ou "L'avare" ?


Ne pouvoir citer aucune de ses pièces est un motif de honte sociale, et parvenir à dérouler quelques-uns de ses vers, une preuve d'érudition courue chez les people.


Donc pour ceux qui ne le connaissent que peu, si votre dernier souvenir remonte au CP, il est plus qu'urgent de vous y mettre. Et voici comment.


Molière pour les nuls


Allez, rapidement, voici de quoi vous rattraper. Je laisse le soin à https://fr.wikipedia.org/wiki/Moli%C3%A8re de vous donner toutes les infos basiques pour glaner quelques détails bien sentis à distribuer dans les dîners.


Ici, je vais tâcher de vous donner mon point de vue de professeur et de comédienne. Voire d'ancienne étudiante d'art dramatique.


Molière, un Everest à franchir pour tout comédien.


Ce ne sont pas mes élèves et mes comédiens qui vont me contredire, Molière est un incontournable pour toute personne qui veut se former à l'art dramatique. On s'y colle dès les premières scènes en cours de théâtre, qu'on appelle "les scènes de travail". "Le Bourgeois Gentilhomme", "le Malade Imaginaire", " le Tartuffe", autant de pièces qui offrent nombre de petits rôles de jeunes premiers et premières pour se faire les dents. Choper les rudiments de la technique et s'essayer en vers à faire vivre un personnage.


Cet aspect un peu léger, dû à cette réputation d'amuseur du roi, qu'il remplit avec talent avec des farces comme l'Avare ou les Fourberies de Scapin, font souvent oublier que Molière, était, oui, nous le savons tous, un critique redoutable des "moeurs du temps". Mais comme nombre des auteurs, qui se sont toujours faits les porte-paroles de causes plus profondes... Rien de bien original jusque-là.


Mais Jean-Baptiste lui, a caché souvent dans son oeuvre, bien des combats. Si bien cachés, qu'on en oublie souvent son étonnante capacité à parler avec encore plus de profondeur de l'âme humaine.


Molière, moins potache qu'on ne le pense.


Et voici pourquoi vous avez toutes les raisons de ne pas jeter les petits classiques jaunis de votre grand-mère. Il s'y cache encore des trésors que vous gagnerez à relire avec un oeil différent.


Molière l'intello ?


Alors évidemment, parmi les farces et autres pièces légères, Molière est tout de même l'auteur du "Misanthrope". Sa pièce sans doute considérée comme la plus "intelligente" allons-nous dire rapidement. Mais sans attendre de vous mettre dans la peau d'Alceste et de disserter comme Philinte, ou encore de vous prendre le chou comme Don Juan, vous pouvez y aller mollo. Car Molière a toujours distillé dans ses petites comédies, des personnages dont le propos est beaucoup plus profond qu'on a l'habitude de le dire. Et qui permettent progressivement d'entrer dans un pan des oeuvres de Molière qui reste encore à explorer.


Une forme attendue, des personnages qui se ressemblent ?


Et là, je vous donne un petit indice pour parvenir à vous plonger dans Molière avec facilité. Evidemment, comme beaucoup d'oeuvres littéraires, cela parle d'amour. Il y a dans quasi toutes les pièces, un petit couple d'amoureux. Souvent contrarié par un père. Mais hormis ces jeunes tourtereaux, d'autres personnages autour d'eux gravitent et portent parfois plus discrètement, la pensée d'un Molière, défenseur de la sagesse.


« Mon Dieu ! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine, et faisons un peu grâce à la nature humaine. Ne l’examinons point dans la grande rigueur, et voyons ses défauts avec quelque douceur. »  - Philinte, Acte 1 scène 1, le Misanthrope

Molière, l'atrabilaire qui se raisonne


Et pour cela, il a créé ces rôles secondaires savoureux, d'oncle en général, ou de servante plus maline que leur maître. Vous avez donc pléthore de personnages qu'on appelle les raisonneurs, comme Béralde, frère du Malade imaginaire, ou Cléanthe, beau-frère d'Orgon dans le Tartuffe.


Par leur sagesse, il est aisé de saisir que notre auteur qu'on pourrait parfois qualifier d'auteur à la recette facile, parvient tout de même à insinuer beaucoup plus de finesse dans son raisonnement qu'on ne le pense. Les Toinette ou Dorine, dotées de leur bon sens paysan, démontrent combien Molière préférait à la parole bourgeoise, une pensée plus saine. Voilà déjà bon nombre de thématiques à développer. Et pour les metteurs en scène en mal de renouveau.


Mais aussi pour les comédiens qui cherchent à se rapprocher d'une interprétation plus ancrée. Certes, une Toinette n'est pas un Alceste, mais la richesse du personnage n'en est pas moins à négliger.


Donc en résumé, mon conseil pour redécouvrir et mieux aimer Molière : lisez plus attentivement tous les personnages. Et ne vous laissez pas éblouir par la présence du personnage principal. Le trésor de chaque pièce est peut-être cachée ailleurs.


Un auteur de commande, à la langue bien répandue.


N'oublions pas que Molière était assujetti à la volonté du Roi. Et pas des moindres. Car si le roi Soleil le plaçait sous sa protection, il restait tout même le Patron du Patron. Afin de redécouvrir Molière, ne suffirait-il pas de nous souvenir des contraintes auxquelles il devait faire face ?


Aujourd'hui encore, le cinéma, la littérature et le théâtre, oscillent souvent entre désir de plaire, besoin de vendre et envie de s'exprimer. Ces trois axes n'étant pas toujours faciles à concilier.


Mais revenons à notre tapissier du Roi.


Et partons d'un principe tout simple.


Les auteurs, même lorsqu'ils dépeignent un personnage qu'ils n'aiment pas, y mettent un peu du leur. Car c'est toujours notre propre prisme que l'on créé. Notre compréhension du monde, notre imagination échafaudent ce que nous ne connaissons pas. Tout comme un comédien, même dirigé par le plus autoritaire des réalisateurs, aura toujours le filtre de sa voix, son corps, ses yeux et son savoir-faire pour rendre personnelle son interprétation.


Molière, lui, de façon consciente, s'est insinué dans tous ses personnages. Il ne rate jamais une occasion d'exposer son point de vue . Par l'entremise de ses héroïnes féminines et même de ses grands vilains.


Et si nous nous replongions dans le contexte de l'époque, il est aisé de se rendre compte que l'audace dont il faisait preuve, était bien plus folle qu'elle ne nous parait aujourd'hui. Les familles qu'il met en scène, sont déjà toutes recomposées. Donnant ainsi lieu à des liens familiaux complexes. Pas de vision idéalisée de la cruauté de la vie, ni de la fourberie des charlatans. Aucune complaisance sur les failles que créé le besoin d'amour ou de reconnaissance. Ou les contradictions des êtres comme Alceste ou Armande.


Molière est partout dans ses vers. Omniprésent dans les pensées qu'il développe dans ses oeuvres, et de façon multiple. Prenez chacune de ses pièces, vous y trouverez autant de façon de la comprendre que de personnages. "Les femmes savantes" ont les voix de toutes leurs héroïnes pour nous dire combien il est difficile à une femme de vouloir plus, suivant les âges, suivant leurs aspirations. Cette pièce ne se moque pas des femmes, elles leurs donnent l'occasion d'exprimer la difficulté féminine de traverser la vie. On pense qu'elle raille les femmes qui veulent se cultiver, en réalité, elle nous parle de l'éducation et de son poids sur les femmes.


Et si pour aimer Molière, il suffisait de se dire que tout est déjà dans le texte ?


On ne compte plus les mises en scène qui ont disséqué Alceste, dénaturé Don Juan, transporté là où il ne demandait pas d'aller un Malade. Après, chacun ses goûts et ses couleurs. Il ne s'agit pas de juger mais bien d'avoir ce constat, comme un état des lieux.


Molière survit à tout.


Le texte continue de passionner, de susciter des mises en scène. Et ses innombrables oeuvres continuent de traverser les siècles. Tout simplement parce que cet auteur est plus fort que le temps, plus fort que nous et les prismes de nos époques par lequel nous le faisons passer.


Et pourtant, je n'aime pas Molière...


Non, honnêtement, je n'aime guère travailler Molière en tant qu'actrice. Car sa langue est redoutable à apprendre, à mettre en valeur tellement elle a de complexité et de recoins à explorer. Mais en tant que professeur, je sais qu'il est l'auteur que tout débutant doit apprendre à maîtriser. Que dans son répertoire, je peux y trouver des personnages pour tous les profils.


Que grâce à sa complexité, j'y ai le terreau pour y épanouir des interprètes avec une technicité remarquable.


Molière, architecte visionnaire du théâtre


Je ne l'aime pas au point de dire qu'il est mon auteur de théâtre favori. Mais je ne peux nier qu'il est la plus grande inspiration que peut avoir un artisan du théâtre. Car il a été comédien, metteur en scène, auteur, directeur de sa compagnie, sans doute les mains dans les décors, et les yeux sur la finance. Sûrement commercial et producteur de sa troupe.


Molière est le métier du théâtre à lui seul, sous tous ses aspects.


Il en a exploré toutes les facettes. Ce qui explique que ses oeuvres sont des bijoux d'apprentissage pour les comédiens, des modèles de construction pour les compagnies qui veulent faire jouer tout le monde de façon chorale, un bonheur pour les décorateurs qui peuvent lui donner mille visages. Et la puriste que je suis dirai un auteur de théâtre remarquable qui nous offre des personnages étonnants de complexité, qui chatouille l'art de la diction et l'envie de s'y livrer corps et âme.


Et c'est aussi une des raisons pour lesquelles, les troupes continuent de vouloir le monter. Pas seulement parce qu'il est libre de droit. Mais bien parce qu'il est un terrain de jeu infini. Ce sont des pièces à la fois populaires et profondes, qui touchent tous les âges, toutes les couches sociales, qui sont calibrées pour plaire, nous faisant autant rire que réfléchir.


Et qui sait si après tout, sans s'en rendre compte, il n'a pas créé ses pièces tels des canevas sur lesquels nous pouvons infiniment encore pendant des siècles tenter de venir y broder nos idées.


Non, Molière n'est pas mon auteur préféré. Mais Célimène et Arsinoé m'ont appris la précision, la musicalité et même m'ont construite en tant que femme. Et après avoir eu tant de mal à les apprendre, tout comme Elvire, les mots de ces grandes héroïnes sont encore des monologues que je peux dire dans mon sommeil.


Je vous parie que dans un siècle, un professeur de théâtre se demandera s'il faut encore monter Molière et si après tout,


Tout n'est pas déjà dans le texte...


25 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page